Il y a abeille (bee) et abeille (honeybee): ni peur ni confusion
6 mai 2024.
6 mai 2024.
Un éditorial publié sur le site 24heures.ch et partagé sur Facebook a attiré mon attention. Cet éditorial de J. Rochat publié le 4 mai 2024 [1] a un côté dérangeant par le ton et la forme qui se voudraient démystifier les problématiques rencontrées par les abeilles.
Dès le titre et la manchette, le ton est donné:
À moi, la peur!
On s’inquiétait pour les abeilles. Un rapport d’Agroscope montre qu’elles s’en sortent mieux qu’on ne l’imaginait.
Et c'est ainsi jusque la fin, l'article de Rochat étant trompeur dans ses conclusions:
Cette nouvelle rassurante devrait nous rappeler que, en règle générale, les humains qui s’inquiètent prennent des mesures pour conjurer les fléaux annoncés. Souvent, ça marche, parce que le pire n’est jamais certain. C’est le message des abeilles. Il coule comme du miel dans nos oreilles.
Oui... Et non. Je viens de lire le rapport en question [2]. Il ne fait état que de l'abeille domestique (honeybee) et n'aborde pas la problématique des abeilles en général. Ambiguïté de termes qui n'existe pas en anglais où l'abeille domestique Apis mellifera est appelée honeybee et les autres abeilles sauvages bees. Certes la première est parfois qualifiée de bee mais quand le contexte ne porte pas à confusion.
Le hic, c'est que l'abeille domestique ou mellifère se porte comme un charme partout si on ne fait qu'étudier les ruchers sous l'aspect économique et production. Plus exactement, le nombre de ruches reste surtout influencé par l'augmentation ou la réduction de la pratique apicole; les colonies perdues sont systématiquement remplacées et donc tout va bien en apparence. Autrement dit et comme l'affirme bien Rochat, c'est l'Homme qui anticipe et compense les fléaux qui frappent ses activités.
Ce qui est plus intéressant dans le rapport original et qui montre que tout n'est peut-être pas pour le mieux dans le monde apicole, c'est que le taux de pertes hivernales reste sans tendance et élevé (13.2% en 2019/20, l'hiver passé 15% auxquels s'ajoutent 10% de colonies trop faibles pour relancer de la production). Situation pour ce que j'en sais généralisée en Europe et Amérique du Nord.
Le rapport ne dit rien du tout de l'état de santé des ruchers (seules deux maladies sont considérées dans le rapport). Aucune référence non plus n'est faite à la qualité du miel et aux types du miel produits.
Pas plus qu'il n'y a de référence aux populations d'abeilles hors Apis mellifera. Or, c'est l'évolution de ces dernières qui sont primordiales (et pas pour la phrase apocryphe d'Einstein). Et là sans aucune enquête scientifique poussée, tous les indicateurs sont à pointer des problèmes importants dans l'évolution des populations. Une des manifestations les plus flagrantes des régressions de populations d'insectes en général dans les zones de cultures est la disparition des cadavres d'insectes écrasés sur les pare-brises des voitures.
En bref, le rapport parle de l'apiculture qui se porte bien pour ses paramètres économiques. Mais comme dans tous les élevages, les pertes sont remplacées. Du coup comme indicateur écologique, c'est un peu foireux... C'est un peu comme si on parlait de la santé de la population de bisons en partant des données des élevages de vaches...
Je rejoins juste l'auteur sur un point: la peur ne peut pas être seule un élément de décision politique. Mais la négation de la réalité ou a minima la travestir non plus.
[1] https://www.24heures.ch/editorial-les-abeilles-suisses-dejouent-les-pronostics-620130514077