Du niveau de l'enseignement
6 mai 2024.
6 mai 2024.
L'illustration ci-dessous est ancienne et circule allègrement sur les réseaux sociaux, Facebook notamment, puisque c'est le réseau social des vieux a priori.
Néanmoins, grande circulation ne signifie pas qu'elle soit juste. Alors je vais prendre les deux minutes nécessaires pour faire la part des choses. Ce qui suit est juste ma critique de l'illustration, je n'ai pas le temps nécessaire d'établir un argumentaire complet et sous-tendu par la bibliographie plus poussée que celle ci-dessous. Bref, je livre ma lecture critique de l'image, après à chacun de se faire la sienne, en tous cas au moins de se poser des questions au-delà de la première lecture suggestive qui n'est pas forcément fausse, mais pas forcément vraie non plus; à savoir la suggestion que les performances scolaires du système éducatif sont maintenues grâce à un abaissement déraisonnable du niveau d'exigence des attendus. S'y ajoute la longue liste des causes et conséquences possibles de cette constatation.
Est-ce aussi simple en réalité? Probablement pas.
Tout d'abord l'illustration a été traduite. Ca veut dire qu'elle n'a pas été réalisée dans le cadre d'une caricature du système éducatif belge francophone, ni même français, que l'on parle d'enseignement fondamental ou supérieur. Ce point est important, parce que si ce n'est pas un argument invalidant l'idée sous-jacente, on ne sait pas exactement de quoi parle le dessin au départ. Après tout, il peut être aussi bien une caricature d'un système éducatif, probablement anglo-saxon, comme être au plus proche une raillerie de la formation ou du recrutement des joueurs d'une équipe de basket U.S. Ça ne veut pas dire qu'elle ne peut pas illustrer la faillite d'un système éducatif, mais de là à proclamer que c'est la meilleure illustration du système éducatif actuel, je vais émettre un doute raisonnable. D'autant qu'une rapide recherche via Google ne permet pas de retrouver une image originale.
Dans un second temps, l'idée que le système éducatif scolaire soit devenu plus simple dans ses niveaux d'exigences pour atteindre des taux de réussite excellents est une allégation du caricaturiste qui nécessite d'être nuancée. De quoi parle-t-on au juste, par-delà le simplisme de la caricature? Le premier réflexe sera de dire que le système scolaire est moins exigeant pour répondre à des élèves de plus en plus assistés. C'est une possibilité. Mais on peut la lire aussi comme le fait que le système scolaire s'intéresse à l'élève un peu atypique à qui on arrive quand même à faire faire des tâches simplistes, là où avant il n'avait d'autre salut que dans le statut d'idiot du village. Dans cette vision, l'élève meilleur au basket pourrait même avoir un panier plus haut... Après tout, on n'a pas le contexte de l'illustration.
Vous me rétorquerez justement que je fais preuve de mauvaise foi. Que tous les indicateurs vont dans le sens d'un effondrement du système éducatif francophone. Entre les publications parfois choc et parfaitement argumentées comme La fabrique du crétin de Brighelli [1] ou plus scientifiquement les tests PISA [2] supposés démontrer la faillite du système, il faut être aveugle pour vouloir nuancer le fait que l'enseignement consacre le teubé au détriment du meilleur.
Je vais mettre de côté les opinions argumentées pour ne prendre que le sacro-saint test PISA. Et donc là aussi, je vais essayer d'en faire une lecture critique, ni à charge ni à décharge.
Si vous êtes un peu au courant de ce qui se fait dans l'enseignement, je vous invite à aller voir le protocole et les questions des outils d'évaluation. C'est visible ici [3]. Tant la manière de poser les questions que le mode de passation de l'épreuve ne sont pas forcément ce à quoi les élèves sont entraînés dans notre système éducatif. Or, les modalités d'évaluation sont un élément-clé de l'interprétation du résultat. Notamment parce que la découverte d'une nouvelle tâche à exécuter fait basculer une question qui pourrait être a priori simple ( je réponds ce que je sais ou pas) en une manipulation intellectuelle de plus haut niveau que la simple restitution (je dois comprendre comment répondre avant de répondre). C'est la raison pour laquelle les instituteurs font passer des CEB blancs en reprenant des exemplaires antérieurs. Le but n'est pas de faire du bachotage mais de permettre à l'élève de découvrir comment répondre.
Ce point, je m'empresse de le dire, ne justifie pas les chutes de niveaux enregistrées, notamment dans les tests 2022 post-crise COVID. Mais en tout cas, il doit éclairer les résultats de chaque test.
La chute observée partout en 2022 est liée très certainement à l'impact de la crise sanitaire et des confinements sur les apprentissages. Les programmes ont pris du retard, la maîtrise de l'ensemble des compétences qui y sont liées aussi du coup. Mais c'est bien connu, nous sommes habituellement toujours moins bons.
Le fait d'aborder la baisse sensible des résultats post-COVID m'amène à un autre point que le mode de passation des tests PISA: les programmes scolaires.
"PISA is the OECD's Programme for International Student Assessment. PISA measures 15-year-olds’ ability to use their reading, mathematics and science knowledge and skills to meet real-life challenges."
Cette définition de PISA [2] fait clairement référence à l'utilisation des compétences pour résoudre des problèmes. Sauf que les compétences ne sont pas toujours vues au même moment dans les programmes, et si les tests PISA sont adaptés pour chaque pays, il n'en demeure pas moins que la comparaison est compliquée. Et même au sein d'un pays, les chercheurs travaillant pour PISA ne sont pas toujours au fait des particularités des programmes. Ainsi une question pour les sciences en 2017 [3] fait référence à la théorie biologique de l'évolution pour expliquer un fait lié aux migrations des oiseaux. Or, la théorie de l'évolution et en particulier la sélection naturelle ne sont au programme qu'en 4e année secondaire, en fin d'année (UAA4).
Je ne suis pas en train de dire que PISA est à jeter, très loin s'en faut! Mais interpréter ses résultats ne peut pas se faire simplement et sans recul, et certainement pas justifier du coup la caricature dont il est question au départ.
Par contre, ce qui pourrait la justifier au départ des tests PISA, c'est que les élèves belges francophones sont sous la moyenne à chaque fois. Donc, que le système est défaillant. Mais là aussi, la simplification est l'ennemie de la compréhension critique. D'une part être sous la moyenne ne signifie rien, sans connaître au moins le paramètre de dispersion qu'est l'écart-type ou la variance.
La lecture du rapport détaillé prenant en compte les résultats de l'enquête 2022 [4] apporte d'ailleurs un éclairage. Manifestement notre enseignement se situe dans la norme OCDE. Bien entendu des pays comme le Japon sont réellement au-dessus, d'autres très en-dessous, comme le Mexique ou la Colombie. Mais on ne peut pas prétendre que notre enseignement est catastrophique sur base des résultats des tests PISA. Il est améliorable mais pas fondamentalement inférieur à nos voisins immédiats. Et en FWB, il faut en outre tenir compte d'une grande hétérogénéité des résultats liées à un enseignement inégalitaire.
A partir de tout ceci, on doit donc conclure que "notre système scolaire" est devenu globalement la norme. Donc, on devrait se dire qu'une majorité d'états ont décidé de revoir les exigences à la baisse.
En fait il y a un dernier point à prendre en compte: la dimension sociétale de l'école. Je ne vais pas prétendre que le niveau des attendus n'a pas baissé, ce serait mentir. Mais étant entendus que les élèves ne sont pas plus bêtes aujourd'hui qu'avant - même si le dire nous arrangerait bien - il faut bien qu'un facteur l'explique.
A mon sens, deux facteurs sociétaux sont à considérer. D'une part le monde a changé. Si d'une part certaines compétences d'antan sont toujours apprises et comparables dans le système actuel, rien n'indique que leur importance est la même. Typiquement le rapport au savoir a changé avec un accès plus aisé aux informations. Mais en parallèle de nouvelles compétences pour utiliser les nouveaux outils d'accès à l'information sont nécessaires. Les attendus d'un élève au XXIe siècle ou au XXe siècle ne sont donc pas forcément les mêmes et pour ceux qui sont communs, les degrés de maîtrises peuvent varier.
D'autre part, si l'école facilite autant la vie des élèves, un autre mème permet de l'expliquer sur le fond.
On l'oublie souvent mais l'école ne fait que refléter la société et ses projets pour le futur. Dans une société qui privilégie l'accès facile à un statut, le système éducatif sera forcément contraint à réduire ses attendus, sans le proclamer du reste. Autrement dit ceux qui partagent la caricature de départ posent une question au mauvais endroit. Accuser l'école de dysfonctionner, c'est souvent masquer où est le problème: au niveau des valeurs véhiculées au sein de la société. Souvent, le système éducatif ne fait que ce qu'on lui demande, même si ça revient à dysfonctionner. C'est d'ailleurs une thèse de Brighelli [1].
En d'autres termes, la caricature de départ rend peut-être compte non pas d'un système aberrant en regard de ce qui se faisait avant, mais d'un système répondant à des critères des années 2020 qui sont voulus.
Pour en revenir à cette caricature, il est évident que les élèves sont moins compétents sur certaines compétences aujourd'hui qu'hier. Mais il faudrait pour être juste regarder le tableau complet des compétences dont la maîtrise est attendue chez les élèves en 2024. Et enfin se poser la question de savoir dans quelle mesure le système dysfonctionne ou qu'il agit comme on l'attend de lui.
Toutes ces réflexions s'éloignent quand même fortement d'une lecture simpliste d'un mème, non?
[1] J.P. Brighelli, 2005. La fabrique du crétin: la mort programmée de l'école. Gawsewitch Jean-Claude Ed.
[2] Site PISA: https://www.oecd.org/pisa/
[3] Exemples de questions PISA en sciences: https://www.pisa-fwb.uliege.be/cms/c_8675158/fr/pisafwb-questions-sur-les-sciences
[4] https://www.pisa-fwb.uliege.be/upload/docs/application/pdf/2023-12/synthese_resultats_pisa_2022.pdf